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Lancement de la Chaire Comptabilité écologique

vendredi 8 novembre 2019

La comptabilité écologique, pour que la nature et les humains comptent

Personnalités académiques, privées, institutionnelles ou politiques étaient réunies pour partager leur expérience, exprimer leur point de vue et s’accorder sur la nécessité de compter ce qui compte vraiment pour préserver ce qui est capital pour nous et notre planète.

"La "comptabilité écologique" peut paraître d’abord un peu contradictoire, puis un peu compliqué, mais elle est totalement indispensable au vue des enjeux actuels" Annonce d’entrée de jeu Alexandre Rambaud, co-responsable de la Chaire Comptabilité écologique.

La Chaire partenariale se donne pour objectif d’aboutir à des systèmes de comptabilité en durabilité forte de l’échelle des organisations à l’échelle nationale en passant par celle des écosystèmes sur une durée initiale de 5 ans, au travers de thèses, de post-doctorats, de groupes de travail et de projets de recherches et d’expérimentation en association avec ses partenaires privés, institutionnels et académiques. Des projets associés à cette Chaire sont également à prévoir.

La comptabilité au service d’une transition réellement écologique

Un outil commun pour construire ensemble

La comptabilité est la discipline qui vise à enregistrer des flux et des stocks de valeurs. C’est un outil technique qui accompagne les acteurs dans leurs activités quotidiennes pour suivre les impacts de leurs actions et évaluer certaines valeurs.

Elle présente un avantage réel, selon Harold Levrel co-responsable et fondateur de la Chaire, celui d’offrir un langage commun. Les valeurs renseignées sont perçues de manière différente par les différents acteurs, la comptabilité va permettre de structurer ces représentations, les organiser.

La comptabilité écologique et la durabilité forte

La comptabilité écologique est la discipline qui enregistre les flux et stocks de valeurs autour des interactions entre systèmes économiques et écologiques. Elle repose sur le principe de durabilité forte.

Le principe général de durabilité préconise le maintien de la croissance des richesses pour les générations futures. La durabilité forte considère que cette croissance n’est pas suffisante pour évaluer la durabilité d’une trajectoire, il faut aussi y associer des principes de conservations écologiques, en reconnaissant à la Nature des valeurs intrinsèques et non simplement marchandes ou instrumentales.

"La durabilité forte implique de reconnaitre des droits à la Nature, de reconnaître que la Nature ne peut être réduite à un statut de ressource (...) elle peut ainsi recevoir une réparation à la suite d’une dégradation, qui soit une réparation pour elle-même sans que cela n’apporte nécessairement de bénéfices directs pour l’Homme" Explique Harold Levrel, co-responsable de la Chaire

Une vraie question se pose quant à la capacité qu’ont les différentes initiatives mises en place, en faveur de l’environnement, à assurer une réelle conservation écologique, "il arrive que ce soit même l’inverse qu’il se passe" d’après Alexandre Rambaud. L’objectif de ce projet est bien d’aboutir à une transition réellement écologique, dans le sens où ces outils doivent permettre d’améliorer le fonctionnement écologique des écosystèmes impactés par l’Homme et conserver un certain état de biodiversité.

La comptabilité écologique à trois niveaux

La Chaire Comptabilité écologique articulera ses projets de recherches et ses travaux de l’échelle de l’organisation à l’échelle nationale en passant par celle des écosystèmes afin que chaque niveau puisse bénéficier des comptes des échelles sous-jacentes ou surjacentes. Les échelles écosystémiques intégreront ainsi les comptes des différentes organisations d’un même territoire, la comptabilité nationale fera remonter ces comptes régionaux et organisationnels pour établir un bilan national. Ces effets bottom up s’accompagneront d’effets top down dans le cas de mesures politiques impactant directement le fonctionnement des entreprises, notamment.

"Sauf dans de très rares cas, la bonne gestion d’un écosystème (...) déborde largement du seul périmètre d’une entreprise ou d’une organisation (...) La capacité à réaliser des performances écologiques dans la gestion d’une rivière va dépendre de la manière dont telle entreprise va discuter, négocier, s’organiser, avec d’autres entreprises, associations, institutions publiques, qui impactent ou qui gèrent de fait cette rivière, de manière à ce que la somme de leurs actions amènent in fine à améliorer sa capacité écologique sur le long terme." Explique Clément Feger, Maitre de conférence à AgroParisTech et chercheur à l’université de Montpellier, pour illustrer l’importance d’une comptabilité écosystemique.

AgroParisTech, Paris Dauphine, l’URCA et le CIRED, sur la même longueur d’onde

Les trois partenaires académiques de la Chaire : AgroParisTech, représenté par Gilles Trystram, Directeur Général, l’Université Paris Dauphine, représentée par sa Présidente, Isabelle Huault, et l’Université de Reims Champagne-Ardenne, représenté par Laurent Lucas, Directeur de la Recherche, ainsi que le Centre International de Recherche pour l’Environnement et le Développement (CIRED), laboratoire d’accueil de la Chaire, représenté par Franck Lecocq, son Directeur, étaient de la partie, pour ce lancement de la Chaire partenariale "Comptabilité écologique".

Ces différentes organisations constituent le squelette de la Chaire en développant, coordonnant, et animant les projets scientifiques qui constitueront le point d’émergence et de mise en relation d’outils et de méthodes de comptabilités, aux différents niveaux d’organisations, en durabilité forte.

Franck Lecocq exprime sa volonté d’une "fertilisation croisée entre le laboratoire du CIRED et les travaux de la Chaire (...)", les approches multi-échelles et pluridisciplinaires, en lien avec le développement et l’environnement, étant les principaux points de ralliement entre la Chaire et le laboratoire.

Isabelle Huault considère qu’il faut aujourd’hui répondre à l’un des plus importants défis de ce siècle, l’enjeu écologique" , la Présidente de l’Université Paris Dauphine soutient en ce sens l’initiative de la Chaire, engagée en partie quelques années plus tôt par Jacques Richard, professeur émérite, et Alexandre Rambaud, co-fondateur de la Chaire et chercheur associé de l’université, en établissant le modèle CARE de comptabilité, en durabilité forte, pour les entreprises. Le développement et l’expérimentation de ce modèle constituera une part importante du programme de la Chaire, pour la comptabilité des entreprises.

Pour AgroParisTech, au delà de la dimension de recherche et en lien à la formation, il y a l’aspect "démonstrateur" qui est essentiel dans ce projet. "Démontrer que les écosystèmes ont un sens, et qu’ils sont essentiels pour tout à chacun." est un objectif majeur pour Gilles Trystram, puis "les intégrer dans le fonctionnement de nos sociétés".

Laurent Lucas, rend hommage à Martino Nieddu, ancien directeur du laboratoire REGARD, à l’origine de la collaboration avec la Chaire, disparu brutalement l’an dernier. Le Directeur de Recherche souhaite que la comptabilité écologique constitue un "élément de signature" pour son université.

LVMH partenaire des premiers jours

Sylvie Bénard, Directrice et fondatrice du pôle environnement de LVMH, depuis 1992, fut des premières à soutenir l’initiative de la Chaire partenariale "Comptabilité écologique" et à privilégier les résultats concrets et l’efficacité en termes d’actions environnementales, aux grands engagements sur trente ans, peu souvent respectés par ailleurs.

Communiquer plutôt que faire ? Pas question pour la Chaire de tomber dans ce piège, et c’est pourquoi tous les moyens humains, intellectuels et financiers seront mis en œuvre pour respecter au mieux les objectifs fixés à l’horizon 5 ans.

"Nous les entreprises il faut qu’on joue notre rôle, mais il faut qu’on le fasse de manière éclairée (...) c’est à dire qu’on a besoin de choses concrètes, appuyées sur la science, appuyées sur les académiques (...) mais c’est difficile pour nous les entreprises car aujourd’hui nos parties prenantes, les entreprises, les associations, les banques veulent savoir ce qu’on fait et chacun fait à sa manière"

Pour illustrer ses propos, la Directrice environnement présente à son public un bloc de 500 feuilles de papier.

"Ces 500 feuilles, c’est la réponse que l’on donne à un organisme qui nous interroge sur le climat, la biodiversité, sur l’eau (...) vous imaginez le travail qu’il y a pour répondre simplement à cette organisation, et dites vous qu’il s’agit là d’un seul organisme, et que nous recevons 20 questionnaires de ce type par an, sans compter tous ceux qui viennent nous voir directement"

Puis Sylvie Bénard présente une feuille de papier simple.

"Cette feuille de papier c’est le bilan financier de LVMH, avec ça on peut savoir si on va dans la bonne direction, si tout est en ordre et prendre des décisions. (...)
Le travail de cette Chaire et ce que j’espère voir un jour, c’est ça, mais pour l’environnement"

Une Chaire partenariale marquée de rêves, d’ambition et de pragmatisme

Pour Hervé Gbego, Directeur de Compta Durable et co-développeur du modèle de comptabilité CARE, la comptabilité écologique répond à un rêve, celui de repenser le monde différemment et permettre aux entreprises de rendre visible, de comprendre et d’intégrer les impacts de leurs activités sur l’Environnement.

"Beaucoup d’inventions ont émergé parce qu’il y avait des doux rêveurs et pour moi c’est aujourd’hui un beau rêve qui se concrétise"

Philipe Thievant, directeur général de la CDC biodiversité, invite au pragmatisme et à la prudence mais aussi à ne pas se laisser décourager face à la difficulté de la tache qui nous est, tous collectivement, confiée :

"La réparation de la nature c’est difficile mais ce ne doit pas être un prétexte pour ne rien faire (...) il s’agit de conduire des démonstrateurs de façon à cerner les progrès possibles dans ces domaines de liaisons économiques et écologiques (...) de façon pragmatique, la question qui se pose ici est de savoir comment peut-on financer la sauvegarde de la biodiversité ?"

La comptabilité écologique, qui place la Nature comme un passif du bilan comptable et qui s’articule de l’échelle organisationnelle à l’échelle nationale en passant par celle des écosystèmes, zone d’interaction entre plusieurs acteurs où la protection des biens naturels devient un enjeu collectif, pourrait apporter une part de solution à ce problème complexe, du moins c’en est bien l’objectif !

Pour Laurent Benoudiz, président du Conseil Régional de l’Ordre des Experts Comptables, Paris Île de France, obtenir un référentiel internationale prendra du temps, mais c’est indispensable.

"La comptabilité a été inventée avant même d’inventer l’écriture (...) c’est le plus vieux métier du monde"

Nous confie le président du CROEC, avant d’ajouter que c’est aussi un outil de mesure exceptionnel.

Mesurer ce qui nous lie au vivant et dessiner des trajectoires communes pour les hommes et la nature, tel est l’enjeu de cette Chaire en lien avec ses partenaires, et pour l’ensemble de la société.

"La bonne méthode n’existe pas ..." P. de Cambourg

Pour Patrick de Cambourg, président de l’autorité des normes comptables, la comptabilité présente un avantage, celui d’offrir un langage commun, et un principal inconvénient, celui d’être très (trop ?) conventionnel sous certains aspects, ne traduisant ainsi pas nécessairement aussi bien la réalité qu’on le souhaiterait.

"Peut-on traduire les enjeux écologiques en termes comptables, extra-comptables ou les deux ? (...) Il y a énormément de méthodes, est-ce qu’il y a LA bonne méthode ? Ce n’est pas sûr. (...) L’idée fondamentale c’est d’arriver à converger sur une méthode généralement admise (...) dans laquelle les mots veulent dire la même chose pour tout le monde. "

Patrick de Cambourg félicite l’initiative de la Chaire et suggère que toute information, telle que celles qui figureront dans les bilans écologiques comptables, devront respecter 7 critères, l’information doit ainsi être fidèle (ou objective), pertinente, compréhensive, comparable, vérifiable, sortie en temps utile, connectée aux autres informations sur le même sujet.

Le Président souligne l’importance d’envisager les choses à plusieurs échelles et en ce sens, la Chaire part sur de bonnes bases en rassemblant ici des acteurs de l’organisation (entreprise, association, ...) jusqu’à l’échelle nationale et internationale.

L’UNESCO et la Chaire Comptabilité écologique, un dessein commun

Meriem Bouamrane, Coordinatrice du programme Man and Biosphere (MAB) à l’UNESCO accueille la Chaire dans ce lieu emblématique qui oeuvre depuis 75 ans pour la préservation de l’environnement et le maintien de la paix dans le monde, au travers de l’éducation, de la culture et de la science. Le programme MAB, créé il y a bientôt 50 ans, étudie les relations entre l’humain et la nature en créant notamment des réserves de biosphères, partout dans le monde, où des populations vivent au milieu de la nature et sa biodiversité animale et végétale.

Pour Meriem Bouamrane, "l’enjeu est de (re)créer des territoires de lien, qui associent conservation et développement" avec cet objectif partagé avec la Chaire d’une gestion collective des écosystèmes.

Le 4 mai dernier, le rapport de l’IPBES était adopté à l’UNESCO. Les résultats sont sans appel, la biodiversité et notamment celle des océans est en net déclin, et les causes majeures de ces dégradations et de ces écroulements de populations sont liées aux activités humaines. Meriem Bouamrane croit que l’on peut inverser la tendance et changer les règles du jeu, et que si l’Homme est souvent cité comme la source du problème, il peut très bien s’en emparer et apporter les solutions

"On veut investir dans l’humain, s’ il est capable de détruire, il est aussi capable de conserver, de transmettre et d’agir positivement (...) il y a énormément de très bons exemples qui me rendent très optimiste (...) qui doivent nous (dé)montrer qu’il est absolument possible de se transformer, de changer les choses" Explique la Spécialiste et Coordinatrice du programme MAB, soutien appuyé de l’initiative de la Chaire.

La Chaire Comptabilité écologique, une initiative soutenue par le MTES et la Commission-européenne

Christophe Itier, Haut Commissaire à l’économie sociale et solidaire au Ministère de la Transition Écologique et Solidaire (MTES) et Daniel Calleja Crespo, Directeur général de l’environnement à la Commission européenne, assis côte côte, face au public nombreux de l’UNESCO, expriment leur soutien à l’initiative portée par la Chaire.

Pour Christophe Itier, les mentalités ont profondément changé et ce type de débats n’auraient pas pu se tenir avec une telle diversité d’acteurs il y a encore 5 ans :

"Nous devons bâtir des coalition d’acteurs, entreprises, associations, politiques, universitaires, investisseurs, nous souhaitons mettre les entreprise au coeur de cette transition écologique et solidaire (...) si on veut faire bouger le capitalisme pour le rendre moins destructeur de la nature et moins producteur d’inégalités, il faut s’emparer des outils du capitalisme, et quoi de plus puissant que la comptabilité pour ça (...) Annonce le Haut Commissaire avant d’ajouter : "Sachez que vous n’êtes pas seuls" pour appuyer l’importance de coopérer dans la mise en œuvre de projets qui incluent, par essence, l’ensemble des acteurs de la société.

L’époque charnière dans laquelle nous vivons, la responsabilité de l’Europe face aux enjeux écologiques, et la nécessité d’intégration de l’environnement dans le business model des entreprises, pour survivre et pour durer, sont tant de raisons qui ont poussé la Commission européenne à soutenir l’initiative portée par la Chaire. Ursula von der Leyen, future présidente de la Commission, a d’ailleurs fait de la création d’un pacte de l’environnement sa première priorité pour l’Union Européenne pour les prochaines années.

"Nous devons intégrer le capital naturel dans les décisions économiques" Annonce Daniel Calleja Crespo, directeur environnement de la Commission européenne.

"Si la comptabilité reste aveugle à la durabilité, les projets qui auront un impact positif sur l’environnement seront sous-évalué et celles qui au contraire sont dégradantes pour l’environnement, continueront de se développer. Le business as usual ne marche plus.
(...) Pour évaluer les risques, les impacts, pour survivre et pour durer (...) la comptabilité écologique est essentielle."

Une mission collective, la tête experte, les pieds sur terre et le cœur chaud

Chantal Monvois, Déléguée générale de la Fondation AgroParisTech et Directrice des partenariats à AgroParisTech, clôture cette cérémonie d’inauguration, en rappelant qu’aboutir à ces systèmes de comptabilités en durabilité forte ne sera pas tache facile, mais que l’urgence écologique, les prises de conscience collectives face à ces enjeux et la volonté forte de repenser le monde différemment pour une large diversité d’acteurs, entreprises, collectivités ou politiques, notamment, poussent à y croire, et suggèrent fortement que le travail fourni par cette Chaire ne sera pas vain.

Avoir "la tête experte, les pieds sur terre et le cœur chaud" telle est la philosophie de la Fondation AgroParisTech, et certainement ce dénominateur commun qui lie et liera chacun.e des act.eur.trice.s de ce projet.

Puisque toute personne, physique ou morale, a son rôle à jouer dans cette aventure qui dépasse largement le défi d’une seule Chaire :

Pour que la nature et les humains comptent, pour de bon, ... on compte (aussi) sur vous !

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